Assis dans la salle des professeurs, je réfléchissais aux prochaines excursions que je pourrais proposer. Nul doute qu’il me fallait trouver quelque chose d’intense, quelque chose qui les fasse réfléchir à ce qu’ils avaient fait. Ce ne serait pas une sortie pour le fun, ni pour leur apprendre à s’accepter de nouveau. Mais bien pour leur faire comprendre l’erreur qu’ils avaient commis. Hykes me demandait de leur donner une « leçon de vie ». Ce n’était pas une punition. Mais bien une leçon. Il me fallait juste trouver laquelle serait la meilleure.

Perdu dans mes pensées, je ne fis pas attention à la sonnerie indiquant la fin du cours précédent. Ce n’est que lorsque le brouhaha dans les couloirs devient plus intense que je sorti de mes pensées. Il me fallait aller au journal du lycée, voir Abby. Le prochain article devait bien évidemment porter sur les derniers évènements et l’importance de la gravité de leur geste. Or, Abby n’était pas encore au courant. Je souriais déjà à l’idée de lui en parler. Non pas parce que je savais déjà qu’elle ne voudrait pas se mouiller sur ce qui s’était passé, mais bien parce que je savais qu’elle le ferait. Elle ne pouvait pas refuser un défi. Et c’était certainement cette qualité qui la rendait forte.
« Hey, Monsieur Derek, et pourquoi pas une sortie en kayak, hein ? »
Je relevais la tête pour croiser le regard de John. Il avait 17 ans. Il était nouveau et n’avait pas encore connu toutes les excursions possibles que l’on pouvait faire. Cependant, depuis son arrivée il me bassinait avec ce kayak. « Ce serait trop vous faire plaisir, » lui lançais-je alors, souriant. Il leva les yeux au ciel et continua son chemin avec les nouveaux amis qu’il avait depuis son arrivée. Il n’était pas facile de se faire une place quand on était au lycée. Mais pire encore lorsqu’on était un jeune à problèmes.

Arrivé devant le petit journal, j’observais Abby plongée dans sa paperasse. M’appuyant sur le rebord de la porte, je ne dis rien pendant quelques secondes. Abby était arrivée depuis quelques mois. Un passé trouble, comme les autres, mais qui l’avait façonné et rendu plus forte. Elle n’en avait juste pas entièrement conscience encore. Et je m’étais décidé à le lui prouver. J’aimais lui lancer des défis, la lancer sur des sujets qui pouvaient être inappropriés pour un journal de lycée. Ou comme aujourd’hui, un sujet qui pourrait la mettre mal à l’aise auprès des autres. Ce n’était bien évidemment pas mon but. Je voulais juste qu’elle donne le meilleur d’elle-même et qu’elle surpasse l’idée que le monde autour d’elle pourrait avoir en lisant ses lignes. Être journaliste, c’était foncer dans le tas sans réfléchir à deux fois de ce que pouvait penser les autres.

« Bonjour, Abby, » commençais-je donc en restant près de la porte. « Alors, un sujet en vue ou … besoin que je t’inspire ? » continuais-je. Elle savait pertinemment que j’en aurais un à lui proposer. Mais ce n’est pas pour autant que je n’étais pas prêt à écouter ses idées.

Junk. Junk. Junk.
Tous les articles, les idées d’articles et ébauches qui s’étaient éparpillés sur son bureau ne valaient rien de rien. Ses idées à elle comme celles des autres ne semblaient pas à la hauteur, quelques bons textes mais rien pour intéresser les autres élèves à lire le journal. À date, la chronique cinéma et glamour était la seule chose potable à être imprimée et Abby ne voulait surtout pas que le petit bateau dont elle s’occupait depuis quelques mois devienne une loque paillettes et strass futile, un ramassis de potins insipides parlant des stars du cinéma ou de la chanson.

Ohhhhh elle se serait frappée la tête contre le bureau si ça avait pu faire surgir une idée géniale. C’était peu dire, à date l’article du geek du coin sur la biodiversité de la Nouvelle-Zélande et les danger que les espèces animales introduites par les colonisateurs représentaient était ce qu’il y avait de plus potable. Mais c’était chiant comme la pluie cet article, il n’était pas question qu’elle en fasse la première page.

Dans un accès de désespoir Abby allait ramasser tous ces feuillets et piger au hasard un truc et essayer de le réécrire pour lui donner un peu plus de punch. Avec de la chance et beaucoup d’efforts ça donnerait quelque chose d’acceptable? Elle n’avait pas remarqué la grande silhouette masculine qui venait de s’encadrer dans l’embrasure de la porte. La voix de Derek la fit sursauter, un petit hoquet de surprise et ses mains qui se dirigeaient vers les papiers se plaquèrent sur la surface du bureau de travail. Le regard encore un peu troublé de la surprise, Abby esquissa son sourire le plus amusé et aimable au professeur. Son ange sauveur venait-il d’arriver pour lui sauver la mise? Quelques fois déjà Derek l’avait lancée sur des pistes intéressantes qui l’avaient amenée à produire des articles desquels elle retirait une étrange satisfaction, qu’elle gardait bien secrète. Ça tomberait bien à point, sinon le premier article du journal porterait sur… Abby tendit la main vers le premier bout de papier… les « All Blacks » l’équipe de rubgy du pays qui avait remporté la coupe du monde de rugby à XV en 2011. Avec un soupir et armée d’un autre sourire Abby laissa de côté l’horreur sportive pour sérieusement envisager prendre un coup d’inspiration.

« Monsieur Marshall! Ais-je l’air aussi désespérée? » dans un geste de désespoir Abby montra les liasses de papier tout juste bon pour le recyclage selon elle qui tapissaient son bureau. « J’ai besoin de deux choses en fait : qu’un ange passe et me donne LA grande inspiration et un soda. » Elle se leva promptement et tira un peu machinalement sur sa jupe pour qu’elle retombe à cette hauteur plus décente pour circuler dans l’école. « Si je vous offre un soda vous voulez bien être mon ange? Quand vous avez ce sourire c’est que vous avez une idée en tête. »

Abby se rapprocha de la porte, et par le fait même de Derek sans perdre son sourire rayonnant, parfait en tous points pour l’avoir tellement pratiqué par le passé. Elle aimait bien ce professeur, elle se sentait à l’aise en sa compagnie, comme s’il ne la jugeait pas et en même temps les défis qu’il lui lançait par moments la laissaient avec un arrière-goût de tension, un peu comme une rivalité qui s’effaçait une fois qu’elle prouvait qu’elle était à la hauteur du défi donné. Qu’est-ce qu’il allait lui sortir cette fois? Abby était déjà intriguée!